De Fritz Leiber, on connaît surtout l’œuvre de fantasy avec Le Cycle des épées régulièrement réédité et même adapté en bande dessinée. C’était également un écrivain de science-fiction et de fantastique de premier ordre comme le prouve Les lubies lunatiques, un recueil dirigé par Alain Dorémieux rassemblant dix-sept de ses nouvelles parues à l’origine entre 1940 et 1974. Toutes très courtes — le recueil lui-même ne fait que 288 pages, préface incluse — ces nouvelles appartiennent à l’un ou l’autre des genres, quand elles n’oscillent pas comme Mariana ou Rêves en tubes entre les deux.
De par les événements évoqués ou les techniques proposées, elles sont souvent datées comme Le Pistolet automatique qui revisite le thème du familier magique sur fond de Prohibition. Mais même lues quarante-six ans après la plus récente, elles ont toutes une certaine résonance. Certes, Fritz Leiber n’était pas connu pour son féminisme exacerbé (il suffit de lire son roman Ballet de sorcières pour en être convaincue). Dans ces nouvelles, le plus souvent, les femmes y évoquent des pinups hollywoodiennes dangereuses à l’image de La Fille aux yeux avides, la créature de Or, noir et argent ou Bobby dans Je chercher Jeff. Mais, elles ne sont que rarement des potiches sauf peut-être dans Rêves en tubes. Mieux, dans L’Incubation fabuleuse (écrit en 1961 soit près de vingt ans après Ballets de Sorcières), elles arrivent même à retourner un bon partisan du patriarcat tranquille en allié décisif.
Pour autant certains thèmes restent d’actualité : la pollution et la crise économique dans Fantôme de fumée ou La Grande caravane, la folie contagieuse dans Le Porteur de folie, Mariana ou La Treizième marche, l’automatisation avec La Dernière lettre, etc. En ces temps de pandémie et de confinement, La Prison de Cristal écrite en 1966 arrive même à être d’une actualité brûlante. Seule L’Homme qui aimait l’électricité avec l’anticommunisme primaire de son personnage-titre est ancrée dans un monde en pleine Guerre froide. Malgré tout, j’ai pris autant de plaisir à relire ces nouvelles qu’à les découvrir au siècle dernier lors de l’achat de ce recueil. Son style tout en suggestion et en allusion arrive à poser en quelques lignes une atmosphère, et instiller une sensation d’étrangeté sans être outrancièrement descriptif. Du coup, ce petit recueil donne envie de découvrir l’univers de Fritz Leiber bien au-delà du monde de Newhon où errent Fafhrd et le Souricier gris.
Les lubies lunatiques
de Fritz Leiber
traduction de Alain Dorémieux
Éditions Pocket