De quoi sont faits les contes ? Comment les histoires et l’Histoire nous conditionnent et influencent notre vie. Peut-on se détacher des fils de son passé familial, même si celui-ci nous est méconnu ?
Tel est le thème du premier roman de GennaRose Nethercott, La Maison aux pattes de poulet. Dans celui-ci, nous suivons le destin d’Isaac et Bellantine Yaga, frère et sœur nés aux États-Unis et lointains descendants de la Baba Yaga, la célèbre ogresse sorcière des contes slaves. Quand ils héritent de sa maison ambulante, l’isba aux pattes de volailles du titre français (Thistlefoot ou Pied-de-Chardon en VO), ils deviennent également la cible d’un Mal ancien qui les poursuit. Et comme tout bon conte, celui-ci a également une valeur initiatique : les deux enfants Yaga vont devoir se confronter à leurs propres passés et aux erreurs et remords qu’ils contiennent.
Des histoires de mal poursuivant le bien, de rédemption, d’objets et de dons empoisonnés, il y en a eu beaucoup dans la littérature américaine : Le Fléau ou Bazaar chez Stephen King, Swan Song de Robert McCammon ou plus récemment Les Somnambules de Chuck Wendig. Les histoires où les contes et mythes prennent la route et se mêlent au monde réel aussi d’American Gods de Neil Gaiman à Fables ou Miss Subways.
L’originalité de GennaRose Nethercott est double : elle tient à la fois au fond de son histoire qu’à sa forme. Pour le fond, elle réinterprète le mythe de la Baba Yaga en la mêlant à l’histoire des juifs de l’empire russe du 19e et du début du 20e siècle, et des pogroms qui enverront les survivants se réfugier par-delà l’Atlantique. Les deux descendants ont grandi dans une famille d’artistes nomades et en ont retiré des tempéraments et des dons totalement opposés : l’un fuyant sans cesse et changeant d’identité comme de vêtements, l’autre aimant le concret et créer de ses mains tout en étant terrifiée de ses propres capacités. Ils devront pourtant s’associer et renouer des liens depuis longtemps rompus pour survivre.
L’autrice joue également avec les styles, utilisant un langage volontairement musical (et chapeau bas à la traductrice pour l’avoir bien restitué) variant suivant les points de vue et les époques abordées. Elle tresse ainsi différents récits qui s’entremêlent et où la lectrice va devoir démêler le vrai du faux en prêtant une oreille virtuelle au propre chant de chaque personnage et à ses propres préoccupations. Et s’il s’agissait enfin des premiers coups de cœur de 2024 ?
La Maison aux pattes de poulet
de GennaRose Nethercott
traduction d’Anne-Sylvie Hommassel
Éditions Albin Michel
Je pense que ça pourrait carrément être mon genre, ce roman.