When Women Were Dragons

Certains livres passeraient totalement inaperçus si au fil d’une conversation sur les réseaux sociaux, un ami ne vous disait : « lis-le, il va te plaire. » Même si ce n’est pas votre genre de lecture habituel, même si ce n’est pas votre période historique favorite. Concernant When Women Were Dragons de Kelly Barnhill, l’ami en question a visé particulièrement juste. Et pourtant l’Amérique des années 50 et du maccarthysme en particulier, ne m’attire pas spécialement, hormis dans les romans de James Ellroy. Alors l’histoire d’une adolescente dans une petite ville du Wisconsin… Ce n’était pas évident.
Cette Amérique ressemble à la nôtre, à un détail près. Le 25 avril 1955, plus de 600 000 femmes – mères, épouses, travailleuses, filles, étudiantes – se transforment en dragons et partent. Laissant derrière elles des flammes, des orphelins et quelques hommes brûlés (époux violents ou volages, employeurs sadiques ou pervers, etc.). Et dans le cas d’Alex qui nous raconte son histoire, l’une de ses femmes est sa tante Marla. Elle va se retrouver avec sa petite cousine en guise de sœur, perdre sa mère et affronter un père misogyne à la négligence spectaculaire. Le tout en cherchant à se comporter en petite fille puis adolescente et femme modèle, même si elle rêve de poursuivre des études et non de trouver un mari qui l’entretienne. Le tout dans un monde où, malgré la disparition flamboyante de masse, le fait même de mentionner l’existence des dragons est mal vu et où tout est fait pour les oublier, en public comme au sein des foyers.
Avec When Women Were Dragons, Kelly Barnhill aurait pu écrire un roman classique sur la volonté d’émancipation féminine et la rage trop longtemps contenue qui éclate dans son histoire, mais elle n’a pas choisi cette facilité. La rage est présente oui, la dénonciation du patriarcat également. Mais ce n’est pas le propos principal de son livre. Sa narratrice, Alex, est pleine de rage, pleine d’émotions et pourtant jamais elle ne se transforme alors qu’elle vient d’une famille « à dragons ». À travers son personnage, l’autrice nous parle avant tout de la sidération, de traumatisme et de la façon dont la première réponse – collective comme individuelle – est le déni. Le rejet complet et l’oubli. Et comment, cette réponse n’est pas viable sur le long terme, comment il faut affronter ses émotions, ses peurs et avancer, pour s’en libérer. Le récit d’Alex est entrecoupé par les rapports et les notes du Dr Henry Gantz, un médecin ostracisé pour ses recherches sur les dragons, qui nous donne une vision plus ample du monde décrit dans ce roman et qui montre que les dragons n’ont pas toujours été rejetés ni ne sont exclusivement de sexe féminin.
Ne cherchez pas d’explication pseudoscientifique sur ce passage de l’humain au reptile cracheur de feu, ni sur les capacités des dragons, When Women Were Dragons reste un roman de fantasy, mais il nous propose une histoire différente des récits classiques, avec une galerie de personnages toute en nuances (hormis le père d’Alex, pourtant tellement courant). Et surtout, il se dévore littéralement et ne se repose plus jusqu’à la dernière page. Et vous marquera durablement.

When Women Were Dragons
de
Kelly Barnhill
É
ditions Doubleday Books

NB : Cette chronique s’inscrit dans le défi lecture imaginaire de 2023 concocté par Jean-Yves et Océane. Si le cœur vous dit de participer, allez lire leurs présentations et faites votre propre menu. Arbitrairement, ce livre sera dans la catégorie #M6C3. Il peut correspondre également aux catégories #M2C5, #M5C5 et #M7C4.

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