Pour qui aime le genre horrifique dans ses loisirs culturels, George A. Romero est un nom connu. Surnommé « le père des zombies » en raison des créatures peuplant ses films les plus connus (dont La Nuit des morts-vivants, disponible légalement ici – entre autres – en raison d’un oubli au moment de sa sortie), le réalisateur s’intéressait à bien d’autres formes de monstres, et s’est également essayé à l’écriture, y compris pour la jeunesse.
Pay the Piper est son dernier roman. Son ébauche (348 pages tapuscrites tout de même) a été retrouvée après sa mort par son épouse et Daniel Kraus (qui avait déjà terminé The Living Dead, son précédent roman servant de conclusion littéraire à ses films sur les zombies). Dans sa postface, ce dernier explique que l’essentiel du roman était déjà là et qu’il n’avait plus qu’à assurer les liaisons entre les différents éléments.
Une fois ces présentations faites, entrons dans le vif du sujet : en quoi consiste Pay the Piper ?
Premièrement, ce n’est pas une histoire de zombie, hormis une sous-intrigue impliquant une bouteille de soda colorée. C’est le récit d’un lieu hanté par son passé et d’une vengeance au très long cours. Deuxièmement, même si la protagoniste, Pontiac, est une petite fille de neuf ans au début de l’histoire, ce n’est pas un livre d’horreur pour enfants. Même si le Piper du titre fait référence au conte rapporté par les frères Grimm et Prosper Mérimé, Le joueur de flûte d’Hamelin (ou Pied Piper dans le monde anglophone). Ici, nous sommes en 2019, dans un bayou de Louisiane. À Allligator Point plus précisément. La ville qui a été fondée par les pirates des frères Lafitte juste après la bataille de La Nouvelle-Orléans, périclite depuis. Peu à peu, les familles vivant dans des cabanes au milieu des marécages signent les offres des compagnies pétrolières pour vendre leur bout de terrain ancestral. Quand le compère de Pontiac disparaît après avoir refusé de l’accompagner à la fête foraine voisine, elle s’aperçoit que quelque chose s’en prend aux enfants de la ville. Est-ce qu’un ancien monstre s’est réveillé ? Quel rapport a-t-il avec les dessins de pieuvres que l’on retrouve un peu partout gravé dans Alligator Point ?
Pay the Piper est construit comme un scénario avec une mise en place s’attardant sur les différents personnages – victimes comme survivants. George A Romero et Daniel Kraus nous y décrive un monde vivant, même s’il semble à l’agonie sur certains points, mais luttant toujours pour se renouveler, se recycler, pour intégrer de nouveaux éléments ou à se rappeler à ses « enfants » partis au loin. Dans la petite communauté d’Alligator Point, les secrets et les rancœurs bouillonnent des années durant, mais la solidarité est également présente sous des formes inattendues. Entourant la jeune Pontiac, les auteurs dressent une série de portraits a priori classique des films d’horreur américains (mais avec à chaque fois un pas de côté inattendu) : le « shérif » fan de John Wayne et son adjoint boiteux, l’institutrice au grand cœur, le vieux médecin bougon, le père alcoolique, etc. Le tout dans un style d’écriture très visuel aussi bien dans la restitution du dialecte local que pour les différentes apparitions du Piper. Il est également très chaleureux et poisseux et plonge la lectrice au cœur du bayou aux côtés des personnages.
Et si la fin est douce-amère (quoique moins nihiliste que celle de La Cabane dans les bois), cette promenade en Louisiane garantie sans vampires ni vaudou s’est avérée plus que satisfaisante si près d’Halloween.
Pay the Piper
de George A. Romero et Daniel Kraus
Éditions Union Square & Co