Il y a un sous-genre de l’urban fantasy que j’affectionne particulièrement : celui mettant en scène la face cachée de Londres comme dans ce roman ou dans ceux-ci. Et il est un scénariste de comics qui, même si je n’apprécie pas toute son œuvre, qui a toujours des propos intéressants dans ses textes : Alan Moore. Quand l’auteur se décide à écrire un roman (ou plutôt le premier volume de ce qui devrait être une pentalogie) exploitant ce sous-genre, je ne pouvais qu’être intriguée.
Le résultat s’appelle Le Grand Quand et s’annonce comme l’introduction d’une série nommée Long London. Néanmoins si vous n’aimez pas les sagas, l’histoire racontée dans ces 400 pages particulièrement denses et chargées se suffit à elle-même. Chaque livre annoncé se déroulant à dix ans d’écart du précédent jusqu’à l’entrée dans le XXIe siècle. Pour le premier, après une introduction chorale et musicale, l’histoire du Grand Quand commence en 1949 dans un Londres portant encore les cicatrices des bombardements subis durant la Deuxième Guerre mondiale dans ses rues, mais également dans la psyché de ses habitants. Là, Dennis Knuckleyard, vit chez une libraire d’occasion à qui il sert de commis. Quand de retour de chez l’un de ses fournisseurs, il rapporte un livre « fictif » qui ne devrait pas exister, il va être forcé de réparer son erreur coûte que coûte et de s’aventurer dans l’envers de Londres et d’y affronter ses dangers.
Le Grand Quand rassemble plusieurs marottes d’Alan Moore : l’occultisme, la critique sociale et politique acerbe, l’histoire, la pop culture, la littérature britannique (et en l’occurrence plus particulièrement Arthur Machen qui est en cours de réédition en France chez Callidor et Aux Forges de Vulcain entre autres). Et nous propose une vision psychanalytique des différents Londres, avec celui caché servant de subconscient sans filtre à celui connu de tous où se mêlent passé, présent et futurs possibles de la ville. Ce qui donne un livre foisonnant avec une multitude d’allusions par pages (certaines comme l’apparition d’un nourrisson au berceau avec un éclair sur le front étant très fugitive), des messages politiques plus ou moins obscurs pour la lectrice française (qui doit se rappeler au fil des pages les bords politiques des différents ministres du pays après la guerre), et des petites piques au passage. Et l’histoire en elle-même ? Dennis n’est définitivement pas le couteau le plus affûté du tiroir, ni même de la cuisine, mais sa naïveté et son côté malchanceux à répétition le rendent attachant. Et les autres personnages d’Ada à Grace en passant par les différents Jack, Clive ou même les Arcanes de Londres retiennent l’attention et provoquent soit l’hilarité, soit l’effroi ! L’épilogue est lui très ambigu et s’expliquera peut-être par la suite, mais hormis ces quelques pages, je recommande chaudement cette lecture.
Le Grand Quand
d’Alan Moore
Traduction de Claro
Éditions Bragelonne