Argentine, 1950. Le jeune Santiago, vingt ans, monte à la capitale, Buenos Aires. D’abord réparateur de machine à écrire pour son oncle, il intègre vite un grand quotidien où il se retrouve par hasard à s’occuper des mots croisés et de la rubrique ésotérisme. Il attire alors l’attention du ministère de l’Occulte, officine gouvernementale qui l’envoie enquêter sur les antiquaires. Ce groupe de collectionneurs très discret se distingue par la longévité de ses membres et leur goût pour un certain liquide vital. Dans La soif primordiale, Pablo de Santis nous raconte une histoire de vampire originale en montrant les deux côtés de la soif. Son protagoniste, Santiago, va passer de l’humanité très basique de jeune campagnard arrivant à la grande ville à l’univers secret des antiquaires, de leurs coutumes et de leurs dangers.
Mais si vous vous attendiez à un roman d’horreur bien sanglant, oubliez La soif primordiale. Ce roman est un livre à l’atmosphère plus policière ou « mystère à clé » comme peuvent en écrire Umberto Eco ou Arturo Pérez-Reverte que véritablement horrifique. Certes, il y a des scènes violentes et de consommation hématophage, mais ces dernières ne rentrent pas forcément dans la première catégorie. Et la violence n’est jamais détaillée. Comme Santiago, la lectrice arrive après le déchaînement et en voit les conséquences. À deux exceptions près, car dans un cas, Santiago est la victime (et s’évanouit de façon opportune), et l’autre l’acteur (et il s’endort !). En revanche, par petites touches, Pablo de Santis installe son monde et les antiquaires, en particulier Calisser dit le Français dans sa librairie d’occasion, se révèlent plus intéressants par leur mode de vie et par ce qu’ils dévoilent sur les dessous de Buenos Aires et de cette période bien particulière de l’histoire du pays alors en plein péronisme et où la police est présente partout, n’hésitant pas à recourir à la torture. Et où comme l’explique le rédacteur du journal, le gouvernement ne laissait que peu de marge de manœuvre : « Ils nous contrôlent à travers le papier. Le sous-secrétariat des diffamations publiques, comme l’appelait Sachar, nous tient dans sa ligne de mire, mais tant qu’au ministère de l’Occulte ils sont contents, tout va bien. Des bureaucrates nous sauvent d’autres bureaucrates. » C’est également un livre pour amateur de livres, car ceux-ci – et le commerce des mots en général – occupent une place centrale dans l’intrigue, plus encore que le sang qui finalement n’est presque qu’accessoire même pour ces vampires, bien loin des clichés du genre. Plutôt court, ce livre est un dépaysement total qui vous invite à un voyage dans le passé récent, le temps d’un thé ou d’un chocolat chaud.
La soif primordiale
de Pablo de Santis
traduction de François Gaudry
Éditions Métailié