Un métier dangereux

1851, dans le nord de la Californie. La jeune veuve Eliza Ripple gagne sa vie comme fille publique dans une maison close de Monterey. « Tout le monde sait que c’est un métier dangereux : mais de toi à moi, être une femme, c’est un métier dangereux, et ne laisse personne te dire le contraire », comme lui rappelle la tenancière, Mme Parks. Néanmoins, quand certaines de ses collègues disparaissent ou sont retrouvées mortes, mue par la curiosité et inspirée par Edgar Allan Poe, Eliza mène son enquête.
Malgré ce résumé, ne prenez pas Un métier dangereux de Jane Smiley pour un
polar. Disons-le de suite, ce n’est pas parce qu’Eliza a lu et relu Double assassinat dans la rue Morgue qu’elle arrive à la hauteur d’Auguste Dupin (ou DUPINE comme elle dit) en termes de déduction. En revanche, c’est un très beau portrait de femmes. Eliza tout d’abord, mariée jeune à un escroc violent qui lui fait traverser tout le pays pour mourir bêtement dans une bagarre de saloon, mais également ses collègues (Jean, Olive ou Mme Parks) et les autres femmes de la ville (Mme Marvin, sa logeuse ou même Mme Hartwood). Toutes dans les différentes couches sociales, et à travers divers âges de la vie, nous montrent l’envers du décor des westerns. Celui des femmes – et pas simplement les bonnes épouses à la Caroline Ingalls dans La petite maison dans la prairie (la série TV, les livres sont un peu moins roses) – au temps de la Ruée vers l’or et de la façon dont elles sont considérées, suivant leur religion, leur origine ethnique (réelle ou supposée) ou leur statut social.
À travers ses différents clients
et ses interactions avec eux, Eliza nous montre également le monde des hommes, à la manière d’une anthropologue, comme son nouveau métier lui donne nettement plus d’occasions de découvrir le monde qui l’entoure que son enfance dans une famille puritaine de la côte Est. Et l’enquête dans tout ça ? Déjà, les pseudo-autorités de Monterey ne font que très peu d’effort pour savoir ce qui est arrivé aux filles. Eliza et son amie font bien des efforts, et ont des idées saugrenues intéressantes… mais peu efficaces. Si elles finissent par trouver le coupable, c’est plus par un coup du sort que par une déduction élaborée et une véritable enquête.
Si l’histoire en elle-même se lit de façon plaisante, tout le sel de Un métier dangereux se trouve dans le style de l’autrice (et de la traductrice dont je retiens le « gris comme trois capucines ») : toujours enlevé, léger et même primesautier, alors que les thèmes abordés ne sont pas toujours faciles. Si Eliza s’épanouit dans son métier, sa vie n’a pas été heureuse : battue dans l’enfance, elle est passée aux bras d’un mari violent
et dominateur, avant que sa mort et son choix de faire une profession dangereuse ne la libèrent. L’histoire de Jean, et celles des autres personnages du livre (les femmes comme les hommes) ne sont pas non plus toutes roses. Mais l’accent est mis sur la façon dont les personnages vont de l’avant et trouvent des solutions, des sources d’amusement. Et l’impression finale en refermant ce livre est un vent de fraîcheur et un sourire aux lèvres. Quand bien même l’autrice ne mâche pas ses mots et ne prend pas de pincettes pour décrire les situations de l’époque.

Un métier dangereux
De Jane Smiley
Traduction de
Carine Chichereau
Éditions Rivages

Cet article a 2 commentaires

  1. Anna

    J’hésite entre « merci » et « il me reste donc quelques semaines pour faire assez baisser ma pile à lire pour pouvoir raisonnablement y ajouter celui-là ». 🙂

  2. Carine Chichereau

    Grand merci pour votre commentaire sur mon travail qui me touche beaucoup !
    Amitiés,
    Carine Chichereau

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