Dans la série rattrapons en 2020 le retard accumulé en 2019, je demande Trop semblable à l’éclair d’Ada Palmer. J’avoue qu’à force d’en entendre parler en bien comme en moins bien, j’étais même assez réticente pour le lire. Puis, ayant récupéré le livre des mains d’un amateur de SF qui l’a abandonné au bout d’une centaine de pages, j’ai tenté l’aventure. Si vous lisez ces lignes, c’est que celle-ci fut suffisamment digne d’intérêt pour être relatée ici.
De quoi parle Trop semblable à l’éclair ? C’est le premier volet d’une série de quatre romans dans un univers cyberpunk ou post-cyberpunk (les spécialistes en débattent encore). Dans un futur où les États-nations et les familles traditionnelles ne sont plus qu’une coquille vide, les humains se sont regroupés par affinité dans des Ruches (ou vivent à la frange en renonçant à certains droits) et des bash (nouvelles entités familiales/colocations/entreprises). Dans ce monde, nous allons suivre Mycroft Canner, un Servant (c’est-à-dire une personne réduite en esclavage public en raison de son passé criminel) introduit auprès des grands de ce monde autour de deux trames qui vont s’entremêler : protéger un jeune messie de 13 ans capable de donner vie à des objets et enquêter sur le vol d’une liste des personnes les plus influentes du moment. Trop semblable à l’éclair n’est que la première partie de son rapport sur les sept jours qui vont entraîner la chute de la société telle qu’il l’a connaît. La suite arrivera en mars en version française chez l’éditeur. Vous voilà prévenu, Trop semblable à l’éclair se termine sur une fin ouverte qui donne envie d’en savoir plus.
Le style d’Ada Palmer est en revanche, lui, tout sauf moderne. L’autrice s’est inspirée des philosophes français du siècle des Lumières (Diderot, Voltaire, Sade ou Rousseau) qui sont d’ailleurs abondamment cités et érigés comme maîtres à penser par ses personnages. La trame même de Trop semblable à l’éclair suit celle de Jacques le fataliste et son maître avec Mycroft Canner dans le rôle de Jacques, narrateur de cette fin d’époque tout sauf fiable. Certains chapitres sont racontés du point de vue d’autres personnes qui soit ont raconté les événements à Mycroft (et donc passé par son filtre), soit les ont insérés plus tard lors de la compilation dudit rapport. Quiconque n’aime pas les philosophes des Lumières ou a tout oublié de ses cours de français et de philosophie au lycée risque donc d’avoir du mal à prendre ses marques dans ce pavé. Et passera certainement à côté de la saveur de nombreux passages (notamment un reprenant un pan entier de La Philosophie dans le Boudoir assez croustillant). Ce sont également les interrogations des Lumières et notamment l’opposition entre la Nature et la Raison, qui sont au cœur de l’intrigue et qui vont secouer le futur imaginé par Ada Palmer. Ce futur avec ses différentes Ruches et les philosophies ou modes de vie qui les parcourent est particulièrement intéressant et riche. Mais Mycroft Canner s’adressant à un lecteur encore plus lointain dans le futur ne s’y attarde pas. Et personnellement, les deux Ruches qui me fascinent le plus — les Brillistes et les Utopistes — n’ont pas une grande importance dans cette partie de Terra Incognita. Cela viendra peut-être dans les tomes suivants.
Du coup, faut-il lire Trop semblable à l’éclair ? Si vous êtes hermétiques à la philosophie ou au choix narratif particulier de l’autrice, non. En revanche, si la littérature et les idées du XVIIIe siècle ne vous rebutent pas et si vous avez envie de les voir se mêler à une intrigue de science-fiction de haute volée, foncez. En tout cas, personnellement je serais au moins au rendez-vous de mars 2020 pour suivre la suite du rapport de Mycroft Canner dans Sept Redditions.
Trop semblable à l’éclair
d’Ada Palmer
traduction de Michelle Charrier
Éditions Le Bélial’