Il suffit parfois d’une conversation entre mordues de lecture pour faire ressortir de sa pile à lire, un livre qui y était enfoui depuis quelques années. Et c’est ainsi que The Book Eaters par Sunyi Dean a finalement été lu. À sa couverture et à la lecture du résumé, je ne sais pourquoi j’envisageai un livre d’horreur plutôt atmosphérique et prenant le temps de s’installer. Erreur c’est un thriller fantastique mené tambour battant entre le passé et le présent et dont les 416 pages se dévorent.
Dans The Book Eaters nous suivons Devon, une dévoreuse de livres dans tous les sens du terme, et son fils Cal alors qu’ils fuient leur famille et cherchent un endroit où ils pourront vivre en paix. La première surprise de ce livre est qu’à l’exception notable d’un personnage secondaire, nous n’y voyons quasiment pas d’humains. Tout est raconté du point de vue des « monstres ». En effet, les dévoreurs de livres (les Book Eaters du livre) ont beaucoup de points communs avec les vampires : une force surhumaine, une vision nocturne excellente, une indifférence à la température extérieure rare et surtout… un jeu de dents (ou plutôt de crocs) supplémentaires pour dévorer l’encre et le contenu des livres. Y compris les connaissances qui s’y trouvent. À ces avantages s’ajoutent quelques inconvénients majeurs : d’abord une incapacité totale à écrire, que ce soit à la main ou en tapant sur un clavier, ensuite, un déséquilibre qui fait qu’il y a beaucoup plus de dévoreurs que de dévoreuses et que celles-ci ne sont fertiles que pendant un court laps de temps avec en moyenne deux grossesses maximum par femmes. Ces deux inconvénients font de la société des dévoreurs un ensemble clanique où chaque famille est dirigée par un patriarche et où les femmes servent de monnaie d’échange pour créer des alliances le temps d’une grossesse et d’élever l’enfant qui en résulte pendant ses trois premières années. Enfin, et surtout, parfois, certains de ces enfants dévoreurs ne se nourrissent pas de livres, mais directement de cerveaux, sans distinctions entre celui des dévoreurs et celui des humains. Cal, le fils de Devon, est l’un d’entre eux.
Avec ce premier roman, Sunyi Dean réussit le tour de force de proposer un texte horrifique (et par moment gore à souhait) tout en nous mettant dans la peau de monstre et nous imposant la question « et moi, que ferais-je dans ce cas ? » Ses personnages ne sont pas parfaits et il reste quelques zones d’ombres. Mais en prenant comme protagoniste, une femme qui a longtemps été couvée et dressée comme une « princesse pondeuse », l’autrice déjoue certains des reproches qu’on pourrait lui faire. D’où viennent les dévoreurs ? Le personnage ne le sait pas et ne croit qu’à moitié à la légende d’un extra-terrestre ayant créé leur espèce pour accumuler le savoir sur Terre. Et toutes les inconnues se camouflent derrière l’ignorance que son clan lui a imposée. C’est également un livre sur le désir d’indépendance, et les limites de ce qu’on peut faire ou accepter par amour (quel que soit le type d’amour, ici principalement l’amour parental, mais pas uniquement). C’est également un excellent thriller avec des rebondissements jusqu’à la dernière minute. Pensé comme un livre unique, sa fin est suffisamment ouverte et l’univers assez riche pour que l’autrice puisse envisager d’y revenir par un autre bout, avec cette fois-ci Devon et son fils en personnage secondaire. Tentant non ?
The Book Eaters
De Sunyi Dean
Éditions Tor Books
