À l’occasion de sa venue en France pour le Festival America, et de la sortie en français de The Only Good IndiansUn bon indien est un indien mort aux éditions Rivages – j’ai eu l’occasion de rencontrer Stephen Graham Jones. Et de lui poser quelques questions sur son genre de prédilection et son actualité littéraire...

L'écrivain améridien Stephen Graham Jones devant un miroir d'eau

Tout d’abord, pourquoi l’horreur ?

Pourquoi l’horreur ? Stephen King devait souvent répondre à ce genre de question. Vous savez ce qu’il disait ? : « Certains d’entre nous sont juste câblés pour l’horreur. » Je pense que c’est, de fait, une très bonne réponse. Et pourquoi, moi, je suis particulièrement intéressé par l’horreur ? J’aime la réponse viscérale que l’horreur peut provoquer chez le lecteur. Je ne dis pas que les autres genres ne peuvent pas y arriver, mais je crois que l’horreur est peut-être le plus adapté pour ça. Je pense que l’horreur et la romance sont les deux genres les plus à même de provoquer ce type de réaction. La fiction littéraire, les livres d’espionnage, les policiers provoquent souvent une réponse intellectuelle : « je n’arrive pas à croire que les machinations se sont si bien enchaînées dans ce casse », ou « je ne peux croire que cet espion avait prévu que toutes ces choses allaient se produire », ce genre de réflexion. Mais l’horreur peut vous forcer à laisser la lumière de votre chambre allumée à trois heures du matin. L’horreur pond ses œufs sombres dans votre tête pour qu’ils éclosent dans le noir. C’est vraiment ce que j’aime à propos de l’horreur. J’apprécie le fait que le lecteur entre dans une histoire d’horreur en cherchant la fermeture éclair à l’arrière du costume du monstre et croit l’avoir trouvé. Ce peut être une ligne mal écrite ou une mauvaise réplique ou même un paragraphe entier qui casse quelque chose et le lecteur se dit : « Voici la fermeture. Ce n’est pas réel. » Et la personne se sent en sécurité. Mais une fois la lumière éteinte, cela devient beaucoup plus réel. J’adore ça.

En ce moment, je lis The Last Final Girl. Qui m’a attiré parce que la « final girl » est le plus souvent une femme. Je crois que l’horreur est un terrain très féministe. C’est ce que j’ai adoré dans My Heart is a Chainsaw, dans le personnage de Jade. Elle a connu tellement d’horreur dans son passé. Mais elle se bat, encore et encore. Et en même temps, elle est si drôle. Pourquoi en tant qu’homme, avez-vous choisi une adolescente comme héroïne ?

Oui. Pourquoi la final girl? Et pourquoi une adolescente ? Je pense que je voulais écrire sur les slashers, et je ne dis pas que toutes les final girls sont des femmes. Il y a eu des final boys aussi bien sûr, comme Jesse dans A Nightmare on Elm Street 2 (La Revanche de Freddy). Je crois que ça fonctionne mieux quand c’est une femme, quand c’est une fille. Surement en raison des stéréotypes que nous associons à ces histoires. Ou avec lesquelles nous venons au monde, si l’on peut dire. Nous sommes conditionnés à accepter que les hommes soient des guerriers, et les femmes n’en soient pas, ce qui n’est pas exact à mon avis. Puis quand vous voyez Jamie Lee Curtis incarner Laurie Strode dans Halloween, elle commence… c’est un vrai rat de bibliothèque, studieuse. Et elle transforme son personnage durant les quoi, 80 ou 90 minutes d’Halloween ? (NDLR : 91 minutes selon iMDB, de tête chapeau !). Elle devient une combattante. Peut-être qu’une autre façon de le dire est celle de Lamberto Bava ? Le fils de Mario Bava a sorti un film dans les années 90 appelé A Blade in the Dark dans lequel la final girl est un homme. Il vit dans un chalet isolé et il est menacé de toute part. Et quand il se retrouve enfin face au tueur dans le salon, cet homme qui fait près de 1 m 90 est plus grand que le slasher et il le roue de coups. Mais pour moi ça ne fait que montrer les stéréotypes. Je ne pense pas que je réponds parfaitement à la question. Mais il faut croire que quand je pense à un slasher, je vois plus la final girl comme une femme. Et dans The Only Good Indians plus précisément, l’un des problèmes que j’ai toujours eus avec les slashers est que quand la final girl a cet affrontement final à la fin, elle doit adopter les tactiques du slasher pour lui résister. Ce qui veut dire que si le slasher est Jason, est Michael (Myers), ils s’en sortent par leurs muscles, leur force. Elle doit donc avoir elle aussi des muscles pour le battre. C’est comme s’il avait choisi les armes. Mais ce faisant, elle échange ses propres particularités, elle échange son identité en tant que femme, temporairement, pour gagner. Ça m’a toujours semblé une victoire à la Pyrrhus, pas une réelle victoire. Mais dans The Only Good Indians, je voulais trouver une façon où la final girl pouvait l’emporter, non par la force, mais par la compassion ou quelque chose d’approchant et où elle n’avait pas à perdre son identité pour gagner. Et c’était important pour moi de le faire.

Mais dans The Only Good Indians, le slasher est également une femelle, c’est une wapiti. Et je me demandais comment je pouvais être si effrayée par un herbivore. Et pas un grand mâle, mais une jeune biche !

C’était ce que je voulais absolument faire : et si le slasher était une femme ? Et si nous avions aussi de la compassion pour le sort du slasher ? Dans Vendredi 13, bien sûr nous avons de la peine pour Jason parce qu’il s’est noyé alors que les surveillants du camp regardaient. Ce n’est pas idéal, c’est même pire que de la négligence. Mais avec Elk Head Woman (NDLR devenue La Femme à la Tête de Caribou dans la version française), c’était une agression. Elle a réellement été brutalisée, de façon totalement injuste. Avec The Only Good Indians, je voulais tester les limites de la justice et voir ce qui est considéré comme tel. Je pense que Elk Head Woman est dans son droit quand elle s’en prend à ces gars. Elle ne l’est pas quand elle s’attaque à Denorah, mais ses actions sont justifiées quand elle s’en prend à Lewis, Cass, Ricky et Gabe. Mais c’était les Lewis, Cass, Ricky et Gabe de dix ans auparavant qui ont commis ces actes terribles. Et durant les dix ans écoulés, ils ont muri et ils sont devenus d’autres personnes. Et la question que je voulais poser était : devez-vous toujours être puni pour les crimes que votre Moi passé a commis ? Je crois que oui. Je crois que vous devez être puni.

Vous vous lancez dans la bande dessinée également.

Earthdivers, oui. Il sort en octobre. Je ne sais pas s’il sortira en France. Je fais mes premiers pas dans la bande dessinée. Donc je ne sais pas comment ces livres arrivent sur le marché français.

Et l’idée est de voyager dans le temps pour éliminer Christophe Colomb ?

Correct, c’est le rêve de tous les Indiens en Amérique.

Justement, vos livres mettent souvent en scène des Indiens ou des métis indiens en Amérique, et c’est très loin d’une expérience européenne. Et pourtant dès le premier paru en France, Galeux, vos livres parlent aux lecteurs européens.

Galeux est une histoire d’entrée dans l’âge adulte et nous sommes tous, d’une certaine façon, devenus adultes ou avons franchi une étape de maturation, même sans rite formel. Avec ce livre, j’espère que c’est ce qui fait écho chez les lecteurs à travers les différentes cultures et également les âges. Mais je pense également que la littérature utilise des spécificités. Elle doit être spécifique pour former un système. Mais elle fait également appel non à des principes généraux, mais à des expériences communes, je crois. Comme dans My Heart is A Chainsaw. Nous n’avons pas tous été dans la situation de Jade, mais nous avons été peut-être pas abusé, mais ignoré comme elle. Donc nous pouvons amplifier notre propre expérience dans une version de Jade et nous placer dans l’histoire. C’est comme imaginer ce que nous ferions à la place de Jade. Mais le fait que ses expériences ont des échos dans la nôtre nous donne un point d’entrée. Enfin, j’espère. Je ne sais pas.

Enfin, que lisez-vous actuellement ?

Je lis le nouveau recueil de Kelly Link, White Cat, Black Dog. Je le lis sur épreuve pour en faire un avis, et je crois qu’il sort en 2023. Kelly Link est une autrice fantastique et je suis ravi de la lire de nouveau.

 

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