Les Sœurs de Blackwater

Soit un coin de campagne américaine se remettant difficilement d’une guerre et d’une épidémie. Est-ce à cause de la guerre de Sécession ou une dystopie où le gouvernement de Washington est tombé ? Nous ne le saurons pas. Soit une femme vivant seule dans une ferme et échangeant ses talents de scribe contre ce dont elle a besoin avec son voisinage. Soit un vagabond insistant pour qu’elle lui écrive une lettre et entreprenne un voyage pour la lire à sa destinataire. Voici les trois postulats de départ du livre d’Alyson Hagy, Les Sœurs de Blackwater. Sur cette trame, l’autrice va écrire un roman plutôt court, mais extrêmement riche en sentiments. Des sœurs du titre français, nous n’en croiserons qu’une : la narratrice principale, anonyme jusqu’au bout. Celle-ci est rongée de culpabilité : d’avoir survécu à une enfance heureuse, à une expérience effroyable, à la guerre et la maladie, et à sa sœur. Celle de ne pas pouvoir comme sa sœur être celle qui guérit, celle qui soulage, celle qui aime, la quasi-déesse vénérée par les parias qui passent la saison froide sur ses terres. Celle d’avoir été responsable plus ou moins directement de sa mort, et de ne plus rien ressentir pour qui que ce soit.
L’arrivée du vagabond va la bousculer et la forcer à sortir de sa réclusion avec des conséquences dramatiques pour l’ensemble de la région. Nous ne saurons guère ce que contient cette lettre, hormis qu’il s’agit d’une espèce de confession, ni comment fonctionnent exactement les talents de la narratrice. Est-elle simplement la dernière femme capable d’écrire des histoires ? A-t-elle, comme sa sœur avant elle, certains dons occultes ? À la frontière entre le fantastique et le « réalisme magique » d’un Gabriel Garcia Marquez, Les Sœurs de Blackwater, laisse planer le doute. Y compris dans la séquence finale qui peut se lire soit comme une hallucination due à la fièvre, soit comme un voyage temporel. En revanche, à la différence des livres d
e l’écrivain colombien, Les Sœurs de Blackwater, n’est pas un roman optimiste. La vie de la narratrice et la conclusion de son voyage ne sont pas des plus heureuses. Je vous déconseille donc de le lire si vous souffrez déjà d’idées noires. C’est néanmoins une ode magnifique à la puissance des mots et à leurs pouvoirs apaisants sur les âmes tourmentées.

Les Sœurs de Blackwater
d’Alyson Hagy
traduction de David Fauquemberg
Éditions Zulma

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.