Avis d’invité : La séquence Aardtman

Après deux avis consacrés à l’extension livresque de l’univers de Warhammer 40 000, Olivier s’aventure aujourd’hui sur les terres de la SF francophone avec un récit touffu, La séquence Aardtman de Saul Pandalekis, qui ne l’a pas entièrement convaincu. Et qui est toujours dans ma PAL, donc vous aurez surement aussi un avis de ma part un de ces jours. En attendant, voici son opinion :

Une Terre qui devient inhabitable à cause du réchauffement climatique, des bots post-singularité, des protagonistes transgenres (y compris chez les bots), un vaisseau spatial piloté par l’IA – comment vouliez-vous que je résiste à cette quatrième de couverture ?
Je me suis donc plongé avec une certaine excitation dans ce pavé de 648 pages où l’on me promettait une correspondance entre Asha, une chercheuse bot transgenre sur Terre, et Roz, homme transgenre à bord d’un vaisseau chargé de trouver une planète terraformable : « Entre Terre et espace, la correspondance entre Roz et Asha va rapidement prendre une importance cruciale. Jusqu’où celle-ci va-t-elle les mener ?
Eh bien, pas très loin. Parce que figurez-vous que ladite correspondance ne commence qu’à la page 456. Après d’excellentes prémisses, néanmoins.
Asha pense la place des bots dans la société, ce que veut dire être bot, mais aussi humain, dans une société où l’espèce humaine décline, accablée par la température et un capitalisme numérique poussé à l’extrême. La question de la « botéité » est au cœur du livre : de leur incarnation à leur démantèlement (selon le choix de certains), doivent-ils se fondre parmi les humains (bien qu’ils soient plus beaux, plus endurants, etc.) ? Doivent-ils revendiquer leur statut et s’autoriser des libertés (comme prévoir un backup en cas de danger) auxquelles les humains n’ont pas accès ? Comment humains et bots peuvent-ils cohabiter, développer des amitiés, coucher ensemble, lorsque tant les séparent ?
L’auteur, Saul Pandelakis, y répond sous la forme d’une tranche de vie, celle d’Asha, de ses ami·es humains et bots. Dont l’un, apparemment incapable de trouver un sens au fait de continuer de vivre, choisira le démantèlement : un moment émouvant, nous racontant l’effacement de son programme et le recyclage de son corps.
La problématique de l’effondrement climatique est également prégnante. L’ambiance sur Terre est moite, étouffante et le système de points, avatar du crédit social expérimenté en Chine, omniprésent dans la vie des citoyens, est glaçant. On y gagne des points pour sa flexibilité à déménager ou prendre le premier petit boulot qui se présente, on en perd lorsqu’on produit des déchets ou qu’on refuse un job merdique à l’autre bout de la ville.
Ce récit bien écrit pourrait en soi suffire pour un livre. Ici, il sert de toile de fond à une intrigue superflue, et d’ailleurs pas vraiment résolue, autour de la séquence Aardtman, du nom d’un informaticien ayant introduit un bout de code déviant dans le programme informatique gérant le vaisseau d’exploration. Autant on souffre avec les protagonistes sur Terre, autant le microcosme du petit équipage dans ce vaisseau et leurs petits dilemmes nous laissent de marbre.
À titre professionnel, j’ai relu des centaines d’articles, analyses, dossiers, etc. Souvent, je faisais remarquer à l’auteur que le fond était bon, mais qu’il y avait un vrai souci de construction. Qu’un remaniement rendrait l’écrit bien meilleur, beaucoup plus agréable à lire, etc. C’est exactement le sentiment que j’ai eu ici. Il y a une matière formidable, ainsi qu’une capacité à créer de l’empathie avec certains personnages. Le mix entre IA, bot et queer interpelle, avec un ton juste.
Pourquoi encombrer ce récit avec des interludes (sic) explicatifs sur l’origine de l’évolution de l’IA pour atteindre la singularité ? L’origine des corps des bots ? La volonté de l’architecte qui a conçu le vaisseau ? Pourquoi ne pas construire ce livre autour de la correspondance entre Roz et Asha, et dévoiler les choses au fur et à mesure, plutôt que d’en passer par cette longue, très longue mise en place ?
En résumé, une excellente réflexion sur la post-singularité, lorsque les IA seront incarnées, et le sort de l’espèce humaine, mais dans un livre d’un auteur dont c’est le premier roman et qui aurait mérité d’être davantage aiguillonné par son éditeur !

La Séquence Aardtman
de Saul Pandalekis
Éditions ActuSF

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