Une forêt quelque part dans le Sud des États-Unis, une personne albino court seule et accouche d’un enfant noir, Hurlant, puis d’un autre aussi blanc qu’elle, Farouche. Le tout au milieu de loups et poursuivie par un démon. Dès les premières pages de Sorrowland, Rivers Solomon donne le ton : fantastique, horrifique, gothique, mais également bourré d’action, de scènes drôlissimes, de poésie et parfois de féerie. Avec son troisième roman, Rivers Solomon nous raconte l’histoire de Vern, analphabète ayant vécu toute sa vie sous l’emprise d’un culte séparatiste, ayant subi de multiples manipulations, tortures et horreurs comme tous les autres occupants du Domaine de Caïn et qui, mariée trop jeune a préféré s’enfuir à 15 ans pour y vivre dans les bois avec ses petits.
Au fil des mois, son corps changeant ne lui permet plus de rester loin de la civilisation et le démon veut la ramener au Domaine. Dans leur fuite, Vern et ses enfants vont comprendre peu à peu ce qui se cachait derrière l’apparente rigueur religieuse du domaine. Et du fantastique gothique, le roman bascule dans une science-fiction à la X-Files. En effet, avec Sorrowland, Rivers Solomon écrit une fois de plus un livre oscillant entre les genres, mais qui touche son lectorat droit au cœur et le prend aux tripes. Même s’il est relativement court (moins de 300 pages), vous ne le lirez pas d’une traite tellement ce texte est riche de sensations, d’informations et de sentiments.
Comme dans L’Incivilité des fantômes, Rivers Solomon à travers ses personnages interroge le genre, l’orientation sexuelle et la religion. Comme dans Les Abysses, le texte explore l’histoire des Noirs aux États-Unis, le racisme à leur encontre et certaines de leurs légendes (comme les docteurs de la nuit). Mais ce livre aborde également les différents mouvements de lutte qu’ils ont menés ainsi que la lutte des Premières Nations pour préserver leurs terres, et conserver leurs langues et leurs héritages. Le tout dans un monde très proche du nôtre, mais où certaines divergences se sont produites au cours du 20e siècle même si elles ne sont jamais clairement signalées. Pour autant, ce roman n’est pas un pensum militant. C’est avant tout un roman où la fuite et la quête de Vern laissent peu à peu place à de l’action et à un final dignes de Neon Genesis Evangelion. À la frontière entre Le Tour d’écrou d’Henry James, Charlie de Stephen King et Ring Shout de P. Djèlí Clark, Sorrowland vous marquera longtemps. Et avec ce troisième roman, Rivers Solomon confirme que son talent va crescendo.
Sorrowland
de Rivers Solomon
Traduction de Francis Guévremont
Éditions Aux Forges de Vulcain