L’incivilité des fantômes

Depuis longtemps, L’incivilité des fantômes de Rivers Salomon me faisait de l’œil. Et pourtant, ayant enchaîné une série de livres assez durs récemment, j’ai pris mon temps avant de le commencer. Une fois lancée, en revanche je me suis retrouvée happée par l’histoire d’Aster et du Chirurgien, tentant chapitre par chapitre de retrouver mon chemin dans cet univers riche et déroutant.
De quoi parle L’incivilité des fantômes ? Il pourrait se résumer très succinctement dans un croisement entre Racines et La Couleur pourpre confinés dans un seul lieu : un vaisseau générationnel. Une catastrophe non précisée a forcé l’Humanité à quitter la Terre et celle-ci vogue depuis des générations dans un vaisseau en ayant presque tout oublié de son lieu d’origine ou du fonctionnement dudit vaisseau. Dans cette société confinée, une ségrégation s’est établie entre les différents ponts : au sommet vit l’élite blanche et patriarcale gouvernant dans une sorte de dictature militaro-religieuse le reste du vaisseau ; dans la soute, les techniciens, ouvriers et autres personnes de couleurs survivent en étant corvéables à merci. Chaque pont va développer son propre langage et ses propres coutumes : sur l’un les enfants seront tous considérés comme neutres de la naissance à l’âge adulte, sur l’autre, les citoyens sont par défaut des femmes à moins d’en décider autrement, etc.
Plongeant au cœur du voyage, L’incivilité des fantômes nous propose de suivre Aster, assignée femme du pont Q, médecin clandestine, polymathe et malheureusement pas de la bonne couleur de peau. Orpheline, elle va tenter de déchiffrer les carnets de sa mère mécanicienne pour savoir ce qui cause la maladie du Souverain actuel et les défaillances du vaisseau.
À travers cette enquête, Rivers Solomon nous dépeint un monde cruel et dur, qui finalement rend malheureux tous les habitants du vaisseau, quel que soit leur étage de naissance ou de vie. Ses personnages, aussi bien les deux protagonistes principaux — Aster et le Chirurgien — que les seconds rôles comme la dangereusement fantasque Giselle ou la tante Mélusine, sont criants de vérité et particulièrement humains. Même le cruel Lieutenant et les gardes avec leur veulerie et leur violence ne sont que les travers d’un système profondément injuste. La résolution de l’intrigue tient également bien la route avec une fin douce-amère qui respecte fidèlement les personnages. En revanche, si vous êtes fan de hard-science-fiction passez votre chemin : les explications scientifiques sur le comment du pourquoi le vaisseau fonctionne et arrive à nourrir toute cette population depuis plus de trois siècles ne sont pas le fort de Rivers Solomon. Son point fort est dans les « soft science ». En effet, ses descriptions des interactions sociales, des différentes coutumes qui se sont établies d’un pont à l’autre et sur la transmission des savoirs sont fascinantes. Tout autant que les différentes approches du genre et de la sexualité de ses personnages, pas forcément réjouissantes en raison de la société dans laquelle ielles évoluent (oui, le pronom non-binaire est volontaire). En raison de certaines scènes dures, ce livre de conviendra pas à tout le lectorat. En revanche, c’est une œuvre de science-fiction particulièrement forte qui vous incitera, j’espère, à réfléchir.

L’incivilité des fantômes
de Rivers Solomon
traduction de Francis Guévremont
Éditions Aux forges de Vulcain

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