Voici un recueil qui a bien failli ne pas être chroniqué sur le site. En effet, à quelques exceptions près comme je l’explique ici, je ne parle pas des livres qui ne me plaisent pas. Et Protectorats de Ray Nayler a le désavantage de commencer par une nouvelle Mélopée pour Hazan que j’ai trouvé détestable. Non pas que l’idée de science-fiction qui la sous-tend ne soit pas intéressante, bien au contraire ! Mais parce que la protagoniste, la fameuse Hazan est une tête à claques égocentrique et que le narrateur n’est qu’une carpette sans amour-propre au contraire. Et comme le précise les « Quarante-deux » dans leur introduction, ces nouvelles sont agencées de façon à pouvoir se lire comme un roman… Heureusement pour moi – et pour Ray Nayler – ces personnages exécrables ne reviennent plus directement. Et les 13 autres nouvelles de ce livre sont autrement plus intéressantes. Elles appartiennent toutes à une même uchronie où en 1938 une véritable soucoupe volante s’est écrasée dans le désert aux États-Unis, surement près de la zone 51. Alors que la Seconde Guerre fait rage en Europe, le pays s’empresse de l’exploiter techniquement, ce qui change le cours de la guerre, et les rapports entre les différents blocs (Staline meurt bien plus tôt et le bloc de l’Est est nettement moins puissant). De cette soucoupe naissent différentes technologiques : mappage de l’esprit humain via le connectome, apparition d’androïdes et d’immeubles intelligents, transferts d’esprits, voitures volantes, exploration spatiale (pas forcément réussite), etc. Et chaque nouvelle va explorer une partie de ces nouveautés en s’éloignant dans le temps et l’espace : Père, Les Boucles de désintégrations et Une fusée pour Dimitrios s’intéressent ainsi à l’immédiate après-guerre et au retour des vétérans, qu’ils soient dans leur corps d’origine ou non. Ils sont un petit côté rétrofuturisme et nostalgique plaisant. D’autres comme Les Yeux de la forêt, Sarcophage ou Les Enfants d’Evrim s’attaquent à l’exploration spatiale et ses aléas. D’autres comme Le Réparateur de moineaux, L’Hiver en partage ou Retour à Château Rouge s’interrogent sur ce qu’est être humain et être conscient dans un monde où la mort n’est plus tout à fait définitive et où cet état des choses entraîne de nouvelles inégalités et frictions. Attention, ce sont des nouvelles plutôt douce-amères, même si chacune a son propre ton distinct.
Même s’il s’essaie à une très grande variété de styles et de sujets avec des idées de hard SF particulièrement intéressante, notamment les débouchés du connectome mis au point dans la toute première nouvelle, Ray Nayler excelle surtout dans la restitution d’une atmosphère et de sentiments. Il place le plus souvent ses histoires dans le Protectorat d’Istanbul et la ville devient un personnage à part entière au même plan que les humains, les vacants et les androïdes qui la peuplent. Son passé et son futur se mêlent dans une atmosphère nostalgique. Et l’écriture de ce Ray en rappelle un autre bien plus ancien, un certain Ray Bradbury, à la fois dans ses Chroniques martiennes que dans son Homme illustré. Au final, ce Protectorats est une belle occasion de découvrir un nouvel auteur. En attendant son futur roman à paraître chez le même éditeur ?
Protectorat
De Ray Nayler
Traduction d’Henry-Luc Planchat
Éditions Le Bélial’