La barrière Santaroga

Après Autonomous, voici le compte-rendu d’une deuxième lecture croisée avec Navigatrice de l’imaginaire. Le thème de celle-ci était « auteur décédé » dans le genre imaginaire. Et nous avons choisi Frank Herbert avec l’un de ses romans n’appartenant à aucun cycle : La barrière Santaroga.
Ce
lui-ci occupe une place à part dans son œuvre. Chronologiquement il a été écrit entre Dune (1965) et sa suite Le messie de Dune (1969) dans une période intense pour l’écrivain (qui en profitera pour entamer son cycle du Programme Conscience avec Destination Vide — rappelez-moi de vous en parler un jour), et pourtant il reste considéré comme une œuvre mineure de Frank Herbert. En effet, s’il traite de nombreux thèmes qui lui sont chers et qui sont également abordés notamment dans Dune (au point qu’au moins certaines séquences de La barrière Santaroga sont presque des calques de l’expérience de Paul Atréides face au Mélange), avouons que l’intrigue elle-même est traitée de façon assez conventionnelle et classique. Déjà contrairement aux différents grands cycles de Frank Herbert, ce roman se passe sur Terre, à une époque contemporaine de sa parution (1968 aux États-Unis) car la guerre du Vietnam y est nommément citée. Nous y suivons Gilbert Dasein, un psychologue universitaire envoyé faire une étude de marché dans la petite ville de Santaroga. Il doit comprendre pourquoi les habitants de la vallée résistent à l’implantation d’un supermarché. Et peut-être renoué à l’occasion avec Jenny, ancienne étudiante à la même fac dont il était très proche, mais qui a préféré le quitter plutôt que vivre loin de sa ville natale. Peu à peu, il découvre que les habitants sont obsédés par un mystérieux ingrédient, le Jaspé, omniprésent dans leur cuisine et qu’ils semblent décourager la présence d’étrangers parmi eux, parfois à l’aide d’accidents mortels. Dasein survivra-t-il à Santaroga ?
Disons-le de suite, le roman a vieilli et sa structure est clairement datée. De plus, c’est loin d’être le livre le plus féministe de Frank Herbert. L’homme qui a créé les Bene Gesserit dans l’univers de Dune et Keila Jedrik dans Dosadi fait ici de son personnage féminin principal, Jenny, une adorable ingénue devant contrôler Gilbert Dasein par ses charmes et la « profondeur » de ses sentiments. Malgré ce défaut, dans le fond, La barrière Santaroga est loin d’être inintéressante. Suivant l’optique choisie lors de la lecture, elle peut se lire comme la description d’une utopie et de la communauté luttant pour la maintenir, ou comme une terrifiante dystopie privatrice d’individualité. Le tout sans que l’auteur ne prenne parti dans un sens ou dans l’autre. Il laisse même la fin assez ouverte sur le futur de son protagoniste, au sein de la vallée ou non… Frank Herbert va également faire une critique assez acerbe du gouvernement fédéral et de la société de consommation à outrance (et notamment de la télévision). Il va surtout aborder des sujets qui lui sont chers : les drogues modificatrices de conscience (nous sommes dans les années 60 où les expérimentations légales ou non sur les psychotropes sont à la monde), l’écologie, la psychologie, l’inconscient collectif et la façon dont la communauté moule l’individu. Ayant étudié la psychologie, il parsème son livre de clins d’œil. Le psychiatre et philosophe Karl Jaspers donne son nom à la substance essentielle de la vallée (traduit par le Jaspé en français), le médecin local porte le nom d’un psychologue suisse, etc. Si vous vous intéressez également à ces thèmes, ces allusions peuvent enrichir votre compréhension du roman. Sinon, même si vous passez à côté au début, les correspondances entre La barrière Santaroga et d’autres livres du même auteur vous sauteront aux yeux et formeront au fur et à mesure une mosaïque plus que plaisante. Et si c’est votre premier livre de Frank Herbert ? C’est tout simplement une bonne histoire, certes un peu rétro, mais parfaite pour se détendre.

La barrière Santaroga
d
e Frank Herbert
Traduction de Jean Bonnefoy

Éditions
Presse Pocket

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