Une nouvelle maison d’édition, c’est toujours quelque chose d’intrigant. Et j’avoue avant de tomber sur Fumeterre 6.2, j’étais passée à côté des éditions Timelapse. Se revendiquant de la « slow édition », c’est une association et non une entreprise qui se spécialise dans l’imaginaire et n’a sorti que deux titres en 2024, année de son lancement : Hope de Noémie Lemos et Fumeterre 6.2 de Jean Millemann. Et pour 2025 ? Nous verrons bien en temps et en heure.
Or donc ce Fumeterre 6.2 ? Déjà à l’heure où cette chronique paraît, il n’est disponible qu’en version papier. Et ma foi, l’objet en lui-même est très agréable en main avec une texture très douce et un papier lisse, peut être un peu trop transparent. La couverture et les illustrations intérieures signées Hélène Boulard sont magnifiques et très évocatrices. Quant au texte ? Il faut savoir que Fumeterre 6.2 n’est que le nouveau nom d’un recueil de nouvelles publié une première fois en 1994 puis réédité en version numérique en 2017. Même si les textes ont été retravaillés pour cette édition et remis aux goûts du XXIe siècle et que celle-ci s’enrichit de deux postfaces : une de l’auteur et une de l’éditrice. Mais n’ayant pas lu les précédentes versions, j’arrivais dans ce livre avec un œil neuf.
Fumeterre est une ville, une planète, un dépotoir, tout ça à la fois. C’est ce qui reste de la Terre bien des années après la conquête de l’espace et la colonisation de nouvelles planètes au sein d’un Impérium dont on ne sait trop s’il s’agit d’un gouvernement ou d’une mégacorporation englobant d’autres entreprises gigantesques dans son sein. Encerclée par les eaux, polluée à outrance, Fumeterre est la seule partie émergée de ce qui reste de la Terre, un îlot urbain où survivent tant bien que mal les rats, les humains (de base comme mutants dotés de pouvoirs psy) et le thé rebaptisé jus et désormais doté de propriétés hallucinogènes. Sur Fumeterre, mourir de vieillesse ou de maladie est désormais impossible. En revanche, les morts violentes, les corps difformes, les esprits cassés par la drogue, la prostitution ou les deux, les ventes d’organes et la servitude y sont légion. Dans un monde sans enfants et sans espoir, à quoi se raccrocher pour survivre ? À ses rêves ? À une religion prônant le suicide de masse ? À moins que de la fange ne fleurissent des solutions improbables, au fil des rencontres et des conflits ?
Fumeterre 6.2 se présente comme une série de nouvelles toutes très différentes les unes des autres, mais avec des personnages apparaissant de l’une à l’autre. Elles s’étalent dans le temps des plus anciennes qui nous expliquent ce qu’est Fumeterre, d’où proviennent les mutants et ce qu’est le jus aux plus récentes nous guidant peu à peu vers une porte de sortie possible pour cet enfer. Ou des portes de sortie, suivant la vision que vous en avez.
Souvent les thèmes de ces nouvelles sont particulièrement sombres et violents, mais l’ensemble n’est pas complètement désespéré. Et c’est cette lueur d’espoir permanente qui peut sembler cruelle pour les personnages. Certaines sont très poétiques, d’autres ont un ton de polar bien noir, et d’autres frisent l’absurde ou le métaphysique. Vous pourrez les lire d’une traite ou au contraire, choisir de les picorer : une nouvelle par-ci, deux par-là… Mais le résultat ravira les amatrices de cyberpunk.
Fumeterre 6.2
de Jean Millemann
Éditions Timelapse