Eurydice déchaînée

Le plus souvent, le roman graphique est une sous-division de la bande dessinée indiquant que le volume entre vos mains a un début et une fin indépendants, y compris de la série dans lequel il s’inscrit éventuellement. Le plus souvent, mais pas toujours… Tout au milieu du monde , déjà édité par Les moutons électriques, défiait les conventions en mêlant textes et dessins pour construire une histoire en soi. L’un de ses auteurs, Melchior Ascaride, récidive avec Eurydice déchaînée en se chargeant seul de l’histoire, de l’illustration, de la mise en page et même du café ! Et pour l’occasion, il revisite la mythologie grecque et sème la zizanie des Enfers au sommet de l’Olympe.
Tout commence par le mythe d’Orphée et d’Eurydice. Petit rappel des faits : la belle dryade ayant été empoisonnée par une vipère, elle est précipitée aux Enfers. Son époux Orphée, aède à la voix mélodieuse, descend vivant dans le royaume d’Hadès pour y rechercher sa douce. Mission accomplie à une condition : Eurydice le suivra mais il ne devra pas se retourner avant d’être sorti des Enfers pour qu’elle regagne également le monde des vivants. Or… Alors que la lumière du jour commence à réchauffer le fantôme d’Eurydice, le poète se retourne, condamnant son épouse au trépas définitif et accédant, lui, à la gloire d’une belle chanson triste narrant ses exploits.
Sauf que Eurydice n’est pas dupe. Elle est même furieuse de s’être ainsi fait roulée. Et elle n’aura de cesse que de s’être vengée de son époux, des dieux et de la destinée qui condamne toujours dans les femmes, qu’elles soient déesses ou mortelles, pour les fautes des hommes. Et Eurydice déchaînée sera le récit de la traversée des Enfers et de la vengeance de la dryade. Et de ses divers rencontres entre ennemis (comme le méconnu Eurynomos) et alliés étonnants (Tirésias et Styx par exemple). Au passage l’auteur règle ses comptes avec la mysoginie profonde de la mythologie grecque où, comme dans les lutes actuelles du féminisme, certaines déesses, par lâcheté ou ambition, se rangent à la cause des mâles. Il n’oublie pas au passage que cette force du destin patriarcale fait également des victimes masculines, son Persée culpabilisant pour son rôle dans le meurtre de Méduse en étant le parfait exemple. En alternant texte et dessins, en jouant avec les couleurs et la mise en page, Melchior Ascaride met son lectorat dans la peau de la dryade : tour à tour furieuse, épuisée, inquiète voire heureuse. Attention, pour savourer pleinement ce livre, il vaut mieux avoir de solides connaissances en mythologie grecque, et ne pas avoir peur du mélange entre les différents vocabulaires. La nymphe n’a pas la langue dans sa poche !

Eurydice déchaînée
de Melchior Ascaride
Éditions Les moutons électriques

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