Bien que très daté temporellement, Membrane, le roman de Chi Ta-wei m’avait laissé une impression forte. Ce nouveau livre à son nom, Perles, n’est pas un roman, mais une collection de six longues nouvelles allant du fantastique à la science-fiction principalement écrites entre 1995 et 1996, sauf celle ouvrant le recueil publiée pour la première fois en 2020. Chacune aborde une facette de l’écriture de l’auteur et de ses obsessions : littéraires, liées à la sexualité et au genre, à la parentalité, à son île, etc.
Celle qui ouvre ce recueil donc, Perles, est à la fois le texte le plus récent et le plus déroutant du livre. Le monde de Gros Ours et de Petit Lapin est tellement différent du nôtre qu’il y a une somme d’informations à ingérer sur une trentaine de pages pour ce qui n’est finalement que le récit d’un adultère plus ou moins accepté par l’autre conjoint. Cette nouvelle donne néanmoins le ton. D’une page à l’autre, ce recueil bousculera sans cesse les préconceptions de l’auteur. Ainsi La Comédie de la sirène est-elle une réécriture d’Andersen, un pastiche de Disney ou une critique des prétentions littéraires de l’auteur en début de carrière ? Et Éclipse dont Chi Ta-wei cite Antonioni ou John Waters comme références avec un double hommage à Kafka et T.S.Eliot joue également avec les apparences et les mots, évoquant fortement pour le coup les dystopies de J.G.Ballard. Au fond de son œil, au creux de ta paume, une rose rouge va bientôt s’ouvrir est, elle, un récit de science-fiction très expérimental également, mais très fort en émotion et dont les nombreux clins d’œil mythologiques fournissent les clés. Finalement, même si elles sont très différentes l’une de l’autre, L’après-midi d’un faune et La Guerre est finie semblent presque des textes classiques par rapport aux quatre autres récits. Cela ne veut pas dire qu’ils sont moins intéressants, en jouant pour l’un sur l’obsession et la culpabilité et pour l’autre sur l’humanité et la prise d’indépendance, mais ils sont d’un abord plus facile que les autres textes.
Dans son ensemble, Perles de Chi Ta-wei demande une certaine collaboration intellectuelle du lecteur et pourra parfois le laisser de marbre comme pour ma part avec Éclipse, mais ce recueil est très riche et je fais le pari que sur les six nouvelles, la majorité saura vous toucher, car parlant finalement de façon très personnelle et par le prisme queer propre au vécu de l’auteur de préoccupations universelles.
Perles
De Chi Ta-wei
Traductions de Olivier Bialais, Gwennaël Gaffric, Coraline Jortay et Pierrick Rivet
Éditions L’Asiathèque