Décidément, la collection Albin Michel Imaginaire continue livre après livre, à surprendre son lectorat. Avec Émissaires des morts d’Adam-Troy Castro, cette surprise passe par la forme même du livre. Au lieu de se contenter du roman du même titre (qui fait tout de même ses 400 pages), ce livre y adjoint quatre nouvelles plutôt longues avec la même protagoniste : Andrea Cort, procureure générale des Corps diplomatiques intervenant dans des crimes où plusieurs espèces sentientes sont parties prenantes.
Ces nouvelles sont présentées par ordre chronologique dans la vie de l’héroïne et non par ordre de publication. Andrea Cort est donc procureur, c’est avant tout une rescapée du massacre de Bocaï où deux espèces sentientes vivant jusqu’ici en bonne intelligence se sont horriblement entretuées prises de folie. Même les enfants, comme Andrea à l’époque, n’ont pas échappé à ces pulsions meurtrières. Longtemps considérée comme une criminelle, Andrea est contrainte de travailler pour les Corps diplomatiques pour ne pas être jetée en pâture aux différentes espèces qui veulent sa peau. De son passé, elle garde un dégoût des planètes et des espèces sentientes, en particulier de la variante humaine. Froide et refusant tout contact personnel, elle va d’enquête en enquête s’intéresser aux origines du Mal, comme Mila Vasquez pourtant créée sept ans après elle.
Pour Andrea, ses chuchoteurs prennent la forme de Démons invisibles, le titre d’une des nouvelles. Ceux-ci auraient poussé Humains et Bocaïens à s’entretuer dans son enfance, et convaincu un moins que rien de tuer et démembrer des représentants d’une autre espèce incapables de prendre conscience de sa présence alors même qu’il les met à mort.
Cette question du Mal est également au cœur de Avec du sang sur les mains où une espèce d’herbivores d’apparence pacifique veut absolument mettre la main sur un multirécidiviste sadique pour comprendre ses pulsions, au risque d’embraser la galaxie.
Les deux autres nouvelles, Une défense infaillible et Les lâches n’ont pas de secret, et le roman lui-même, Émissaires des morts, s’intéressent eux aux notions de libre arbitre, d’esclavage et de liberté illusoire ou non. Une défense infaillible présente la particularité de se placer dans un environnement 100 % humain. Elle reste à mon avis, la nouvelle la plus faible du lot. Les lâches n’ont pas de secret implique un châtiment qui n’est pas sans rappeler celui d’Alex dans Orange mécanique et, évidement la façon dont il peut être détourné horriblement par les humains. Ce fut, pour moi, l’histoire la plus terrifiante du recueil. Enfin Émissaires des Morts va reprendre ce thème avec une enquête complexe dans un habitat construit par des intelligences artificielles pour y développer leurs propres espèces sentientes. Attention, à l’instar du film Interstellar qui aurait gagné à être amputé de ses vingt dernières minutes, Adam-Troy Castro n’a pas pu résister à un happy end hollywoodien dans les vingt dernières pages du roman. Ce surcroit de saccharine, à moins qu’il annonce une horreur dans la suite des aventures d’Andrea Cort, gâche la conclusion de ce qui est pourtant un excellent polar spatial rondement mené.
Émissaires des morts
de Adam-Troy Castro
Traduction de Benoît Domis
Éditions Albin Michel