La Maison hantée

Après une hantise domestique ultramoderne la semaine dernière, parlons d’un classique du genre, paru en 1959 (et non 1979 comme indiqué dans la page de crédit de mon édition). Il s’agit de La Maison hantée de Shirley Jackson, conseillé vivement dans l’antre de tous les dangers pour les comptes bancaires – la librairie éphémère des Utopiales. Et ce fut pour moi l’occasion de découvrir l’autrice en romancière, la connaissant déjà en nouvelliste et en essayiste.
Découvrir ? Non, le terme n’est pas assez fort. Être soufflée par la prose de l’écrivaine, et son incroyable modernité. L’histoire de La Maison hantée pourrait pourtant se résumer en peu de mots. Un universitaire s’intéresse au paranormal et décide de séjourner un été dans une maison étrange perdue dans la campagne avec trois inconnus pour étudier les phénomènes qui s’y produiront. Parmi eux, Eleanor s’avère particulièrement sensible à l’atmosphère de la maison, au point que… Et je n’en dirais pas plus pour ne pas vous dévoiler le clou de l’histoire. Si cela vous rappelle de nombreux films et séries d’horreur, c’est tout à fait normal. Shirley Jackson est considérée comme un modèle pour de nombreux écrivains (dont un certain Stephen King) et scénariste, et ce roman en particulier a été adapté en films (2 fois, celui de 1963 étant le meilleur), en pièce de théâtre et plus récemment en série.
Plus que l’intrigue elle-même, ce qui m’a frappé dans ce récit est le ton et la fraicheur des dialogues, qui pourraient parfaitement avoir été écrits en 2023. Déjà, la dynamique des personnages est intéressante, notamment les relations entre Eleanor et Theodora, mais en plus certaines phrases font mouche de suite. Dès la dixième page, l’autrice écrit : « Fidèle à l’idée du savant consciencieux qu’il se faisait de lui-même, il passa au peigne fin les archives des associations de médiums, les fichiers secrets des journaux à scandale, les rapports des parapsychologies et dressa une liste de personnes qui, d’une façon ou d’une autre, à un moment de leur vie, avaient été impliquées dans des événements surnaturels de nature et de durée diverses. Il commença par rayer celles qui étaient mortes. » Cela donne le ton du récit : toujours distancié, avec les personnages ayant toujours une approche légèrement décalée par rapport aux phénomènes qu’ils rencontreront. Qui jusqu’à la toute fin laisseront la porte ouverte sur la réalité objective ou subjective des événements s’étant produits durant leur séjour au manoir. Et derrière son histoire de hantise, Shirley Jackson en profite pour faire un portrait au vitriol d’une certaine frange de la bonne société américaine, notamment à travers son personnage central, Eleanor, trentenaire ayant sacrifié sa jeunesse pour s’occuper d’une mère malade et acariâtre et qui désormais dépend du bon vouloir de sa sœur et de son beau-frère jusqu’à sa fugue vers ce manoir. Les personnages secondaires comme le Dr Montague et sa femme valent également le détour, notamment par leur incompréhension mutuelle élevée en forme d’attachement. Que vous aimiez frissonner de peur ou les études psychologiques en milieu fermé, La Maison hantée est un texte relativement court et percutant qui occupera agréablement une soirée d’hiver ou deux, tout en vous marquant durablement.

La Maison hantée
de Shirley Jackson
traduction de Dominique Mols révisée par Fabienne Duvigneau
Éditions Rivages

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