Depuis sa sortie en 2021, Notre part de nuit de Mariana Enriquez avait reçu des critiques dithyrambiques de la part des critiques littéraires, que ce soit des professionnels ou des amateurs sur leurs blogs, les forums ou leurs réseaux sociaux. Tellement qu’à l’époque, je voyais le livre partout et je saturais au point de ne pas vouloir le lire. Puis est arrivé le moment de la sélection pour ce défi 2025. Un roman fantastique d’une autrice que je n’avais jamais lu et que toutes mes connaissances (sauf un qui m’a expliqué de façon colorée et claire qu’il avait détesté) avaient apprécié me semblait un bon choix pour l’automne. À raison ?
J’ai déjà eu la bonne idée de prendre ce livre en numérique et de n’avoir que 548 pages à parcourir au lieu des 816 pages du poche. Et de m’épargner une tendinite féroce ainsi qu’un sort peu enviable du livre l’ayant lu principalement dans les transports en commun, sur le banc des vestiaires ou accoudé devant un café. Le début de l’histoire est relativement simple : Juan prend la route avec son fils Gaspar quelques mois après la mort de sa femme dans un accident. Il se prépare à rencontrer sa belle-famille et cherche comment protéger son fils de celle-ci, en recourant à certains rituels. Et peu à peu, en passant d’une époque à l’autre, le puzzle se reconstitue. Depuis plusieurs siècles, certaines familles en Europe et ici en Argentine, adorent une entité mystérieuse, l’Obscurité, qui s’adresse à eux via des médiums (comme Juan) et qui peut être amadouée/nourrie/contrôlée par des rituels sanglants. À travers l’histoire de Juan, de sa femme Rosario et de leur fils Gaspar, Mariana Enriquez nous raconte les dérives de ce culte et sa fin en le liant profondément à l’histoire de son pays, l’Argentine avant, pendant et après la dictature de 1976 à 1983. Son écriture est fluide, l’histoire est prenante et le mélange entre le quotidien et le surnaturel, parfois particulièrement sanglant, se fait bien.
Tout pour un bon récit à deux gros problèmes près.
Le premier gros problème ? Mariana Enriquez tire à la ligne… Elle s’attarde et expose des détails (le quotidien de Gaspar enfant entre les repas au bar, ses balades à vélo et les séjours hospitaliers de son père ; la découverte par Rosario du Londres des années 1960 et de ses divers lieux emblématiques) sur des dizaines et des dizaines de pages, alors qu’un paragraphe ou deux suffirait pour poser le contexte et avancer plus rapidement dans le récit. Et franchement, par moment, la menace de l’Obscurité et de ses adorateurs est totalement perdue de vue alors qu’on s’immerge dans le quotidien de personnages secondaires. Le deuxième ? Rosario. Désolée, mais ce personnage est détestable dès sa première apparition. Égoïste et lâche, elle n’a que quelques remords d’aller nourrir les enfants torturés par sa mère jusqu’à ce qu’on vienne l’aider et que « la tâche » soit moins pénible pour elle. Et vis-à-vis de Juan ou de son fils, c’est pareil : « Je les aime – avec certains doutes concernant son enfant – mais moi d’abord. » Les autres personnages principaux ne sont pas franchement attachants, mais au moins, la lectrice peut comprendre assez vite pourquoi ils commettent ces actes et pourquoi ils en souffrent, éprouvant une certaine culpabilité. Elle ? Rien. Juste un « c’est la faute de mes parents si je suis comme ça. »
En résumé, la découverte de la plume de Mariana Enriquez fut très intéressante et son intrigue ne manque pas d’originalité. Mais, si je la relis, ce sera sous forme de nouvelles, parce que là, il y a facilement 30 à 45 % du roman qui est inutile ou redondant. Et ne parlons pas de la fin où en 40 pages à peine, tout est bouclé. Et, où Gaspar tenu à l’écart de sa famille maléfique et de ses rituels depuis 15 ans, et n’ayant reçu quasi aucune formation, arrive à démonter le culte et en éliminer le danger (en Argentine) le temps d’une balade. Dommage d’être aussi rapide, après avoir fait prendre tant de détours inutiles à sa lectrice pendant les 4/5e de l’histoire.
De plus, à la couverture de l’édition française (qui est également celle de Diamants de Vincent Tassy sorti lui aussi en 2021), je préfère la version plus graphique anglo-saxonne qui à l’immense avantage de correspondre réellement à l’histoire.
Notre part de nuit
De Mariana Enriquez
Traduction d’Anne Plantagenet
Éditions du sous-sol