Après La Cité diaphane, l’autrice et l’illustratrice Anouck Faure nous propose une autre incursion dans la weird fiction, particulièrement fascinante. Dès le prologue où une femme aussitôt accouchée se jette dans les vagues pour céder à l’étreinte d’une île vivante, elle nous déroute et annonce la couleur : vous qui entrez dans ce livre, perdez tous repères ! La suite d’Aatea va en effet s’intéresser au bébé. Trente ans plus tard, celui-ci – pourtant fils de reine – est devenu un paria parmi son peuple. Sans lien physique avec son port d’attache (un filament reliant les humains aux îles), il n’est qu’un eunuque esclave condamnée à « onçoir » (écouter et ressentir le chant du monde qui l’entoure) et à guider les nobles et membres des hautes castes au sein de la Nuée. Jusqu’à ce qu’une catastrophe ne le pousse à fuir, toujours plus loin, toujours plus profond. Pour finir par révéler les secrets et les dangers de son monde.
Aatea se découpe en plusieurs phases : un roman d’aventures maritimes et de pirates, puis une découverte de la Nuée et de ses différentes strates qui ne sont pas sans rappeler Les Voyages de Gulliver avant de basculer dans le tiers final dans de la pure science-fiction. Quelques indices – des voiles solaires, du lithium et du pétrole extraits du sol – signalent pourtant dès le départ que nous sommes dans une histoire futuriste, mais le mélange organique entre la Nuée et une partie de ses habitants ainsi que les différents pouvoirs rencontrés brouillent les pistes. Et c’est ce décalage permanent qui fait le charme du livre. À la différence de La Cité diaphane qui a été lu finalement d’une traite ou presque, pour Aatea le rythme de lecture fut plus lent. Au gré des chapitres, le livre a été reposé, digéré, puis repris pour une nouvelle étape, une nouvelle rencontre. Et quand vient la fin, c’est un déchirement de dire au revoir à Aatea et Paikea, mais également la satisfaction d’être rentrée au port, la tête remplie d’images, de rêves et de cauchemars, de beauté et de douleur.
Aatea
d’Anouck Faure
Éditions Argyll
(critique initialement parue dans Présences d’esprits n°120)
