Rencontre avec Mary Robinette Kowal

Une femme blanche à lunette aux cheveux bouclés chatains clair coupés au carré pose en vêtements noirs et gilet blanc devant une paroi de lambris et le poster des Utopiales 2024. C'est l'écrivaine et marionnetiste Mary Robinette KowalConnue pour la série uchronique Lady Astronaut, Mary Robinette Kowal était invitée aux Utopiales 2024, où elle a reçu le prix ActuSF de l’uchronie pour Sur la Lune. Une bonne occasion pour lui poser quelques questions.

Comment avez-vous découvert la science-fiction ?

Je lis de la science-fiction depuis aussi longtemps que je me souvienne. Mon père aimait la science-fiction. L’un de mes premiers souvenirs était d’écouter à la radio The Hichhaker’s Guide to the Galaxy (Le Guide du routard galactique ou quelque soit son nom actuel en version française) avec lui. Et puis j’ai également lu A Wrinkle in Time (Un raccourci dans le temps) par Madeleine L’Engle. Aux États-Unis, les livres pour enfants ne sont pas séparés par genre. Donc, la première fois où je me souviens avoir pensé au genre, c’est plus en termes de « je veux plus de livres comme celui-ci » et de m’être dirigée vers des livres de science-fiction et de fantasy. Mais je ne me souviens pas d’une époque où je n’en lisais pas.

Quand vous êtes-vous décidé à écrire de la science-fiction ?

J’ai commencé à écrire, car j’ai eu une blessure grave pour une marionnettiste. J’écrivais déjà un peu au lycée comme beaucoup de monde. Puis, j’ai été à l’université et je suis devenue marionnettiste. Je me suis blessée au poignet et je n’ai pas pu travailler pendant près de deux ans. Et mon frère avait déménagé en Chine avec ses enfants. C’était avant Skype et Zoom. Alors j’ai commencé à leur écrire une série d’histoire. Ce qui m’a rappelé à quel point j’adorais écrire. Comme j’avais du temps libre, j’ai commencé à écrire. Et comme j’avais passé toute ma carrière dans des domaines artistiques, et que ma mère était gestionnaire artistique, ma première réaction a été : « comment puis-je être payée pour ça ? » J’ai commencé à envoyer des nouvelles à des magazines, à prendre des cours et à assister à des ateliers d’écriture créative et me voici devant vous.

Vous écrivez dans des genres très variés, mais pour la série Lady Astronaut au moins, vous avez, il me semble, fait beaucoup de recherches. Comment travaillez-vous ?

C’est différent à chaque livre. J’ai tendance à écrire sur des choses qui m’intéressent déjà, mais que je dois approfondir une fois que j’ai commencé à écrire. Pour les livres de la série Lady Astronaut, je m’intéressais déjà à l’espace. Mais j’en avais une connaissance assez superficielle. Je me suis lancée dans des recherches assez larges et j’en ai sorti un synopsis qui lui-même m’a orienté vers des recherches plus précises. Et plus j’écris, plus mes recherches deviennent précises. Mais au départ, c’est Wikipédia et mon centre d’intérêt. En ce moment je suis au tout début d’un nouveau roman, car j’ai vu un article sur un poisson avec des doigts qu’il utilise pour marcher et pour trouver sa nourriture. Et ces appendices ont des récepteurs olfactifs au bout. C’est un poisson très, très stylé. Je me suis demandé : « et si c’était une espèce extra-terrestre ? » Et donc, maintenant, je me passionne pour la biologie marine, et pour une histoire de premier contact. Mais c’est ainsi que les choses commencent : je découvre un fait et je me dis « Et si ? ».

Et en tant que marionnettiste, avez-vous déjà participé à des spectacles de science-fiction

Je crois que l’histoire de presque tous les marionnettistes est liée d’une certaine façon à la science-fiction et à la fantasy, car ce sont des genres qui se marient naturellement aux marionnettes. Est-ce que j’ai fait quelque chose en rapport direct ? Oui. J’ai fabriqué un chien pour une adaptation de There Will Come Soft Rains de Ray Bradbury (Il viendra des pluies douces). Je n’ai pas joué dedans, mais j’ai réalisé la marionnette. Et j’ai également joué dans une pièce appelée Jack Straws in the Wind Tunnel, que personne ici n’a dû voir. Mais elle parle de la création avec des LED, représentant des atomes flottant dans l’obscurité et se déroule jusqu’à la fin des temps. C’est une création d’un des marionnettistes travaillant pour 1, rue Sésame, Martin P. Robinson (NDLR il y incarne entre autres M. Snuffleupagus et Telly Monster).

Vous êtes également narratrice de livres audio, comment avez-vous commencé cette activité ?

Elle date d’avant que je sois marionnettiste… À l’université, j’avais choisi « théâtre » en mineure, et je faisais des compétions orales de ce qui s’appelait « lecture jouée », où il fallait littéralement lire à voix haute une histoire. Grâce à Hitchhiker’s Guide to the Galaxy, j’adorais déjà le théâtre radiophonique. J’en ai fait un peu. Je l’ai étudié à l’université avant de m’orienter vers les marionnettes. Lire à haute voix des livres est assez similaire aux spectacles de marionnettes, la douleur en moins. Vous devez toujours prendre des positions étranges pour manipuler les marionnettes. Pour lire, vous vous installez dans un siège, et vous lisez à haute voix. C’est très facile et vous pouvez faire toutes les voix. C’est ça qui est amusant.

Pour quels types de livres, êtes-vous narratrice ?

J’enregistre ceux de John Scalzi, la série des October Daye de Seanan McGuire. J’en ai lu, je crois, 17. C’est beaucoup. Juste dans cette série, elle est très longue (NDLR Seuls les premiers tomes ont été traduits en français, mais elle comprend effectivement 18 romans et une multitude de novellas et de nouvelles). Le public français connaît probablement moins les autres auteurs, car je ne lis pas toujours de la science-fiction ou de la fantasy. Parfois je lis de la romance. Qui en science-fiction ? Neal Stephenson. J’ai lu Seveneves pour lui (NDLR Non traduit en français). Et il ya ce livre merveilleux qui n’a pas eu assez d’attention, The Far-Time Incident, que j’adore. C’est une histoire de voyage dans le temps. Je dois en lire deux dans la série pour Neve Maslakovic.

Vous avez été secrétaire puis présidente de la SFWA. De quoi s’occupe cette association sans équivalent en France ?

La SFWA (Science Fiction and Fantasy Writers Association) est l’organisme américain regroupant les auteurs professionnels de l’imaginaire. Vous devez avoir un certain nombre de ventes à votre nom pour y adhérer, afin de nous assurer de votre sérieux dans l’écriture et la publication. J’ai d’abord candidaté en tant que secrétaire, car le candidat à la présidence d’alors voulait se présenter avec moi. Nous avions des idées très similaires sur ce que nous voulions accomplir. Puis j’ai candidaté pour être vice-présidente, avant de m’éloigner deux ans, et de me présenter comme présidente. Comment cela s’est-il produit ? Je ne me suis pas reculée assez vite quand ils ont demandé des volontaires, mais c’était une expérience très enrichissante. Avec la SFWA nous essayons de rendre le monde de l’édition plus favorable pour les auteurs de science-fiction et de fantasy. Nous militons pour des contrats plus juste. Nous aidons parfois pour la résolution de conflits, nous organisons des ateliers. Et nous avons des récompenses, les Nebula, qui sont choisies par nos membres. C’est comme guider un troupeau de chats. Est-ce que c’est un syndicat ? Techniquement non, les lois aux États-Unis sont idiotes. Nous n’avons pas le droit de nous syndiquer, car les romanciers ne sont pas à proprement parler des employés, et donc nous ne pouvons légalement pas proposer des services comme une assurance santé à nos membres. Je crois que les États-Unis sont frustrants et souvent stupides.

Comment voyez-vous l’évolution du monde de la science-fiction en termes de genre et de représentation ?

Ce qui est intéressant à ce sujet est que, si vous regardez le nombre de personnes écrivant et publiant de la science-fiction et de la fantasy, et je ne parle que des USA, c’est environ 48 % de femmes et 52 % d’hommes. Et c’est le cas depuis plusieurs décennies. Mais si vous regardez qui est mis en avant en librairies, c’est environ 18 % de femmes et tout le reste, ce sont des hommes. Et là nous ne parlons que des personnes binaires. Pour les non-binaires, c’est encore très différent. Mais, même durant l’Âge d’Or, il y avait des femmes qui écrivaient et qui publiaient. Mais ce n’était pas elles qui étaient sélectionnées pour des anthologies, pas elles qui étaient recommandées. Il a toujours eu des écrivaines fantastiques qui ont écrit, ont été reconnues et ont gagné des récompenses, et pourtant elles n’ont toujours pas eu la même reconnaissance. Là où je vois un changement, c’est quand vous regardez la liste des récompenses désormais remportées par les femmes. Et je crois que cela fait… sept ans ? Je sais que John Scalzi a été le dernier homme blanc à recevoir un Hugo pour un roman, et c’était il y a au moins sept ans (NDLR C’était en 2013 pour Redshirts, néanmoins, il a fait partie de la sélection finale pour The Collapsing Empire (L’effondrement de l’Empire en 2018). Le seul autre homme qui l’a emporté depuis était Liu Cixin (NDLR en 2015 avec son traducteur Ken Liu). Cela fait un bon de temps qu’un homme américain blanc n’a pas gagné le meilleur roman aux Hugo, ce qui est un vrai changement. Il commence également à y avoir plus de femmes critiques et journalistes, ce qui apporte également un changement dans les choix des livres chroniqués. Les réseaux sociaux changent aussi la perception. Mais en termes de qui écrit quoi, je ne pense pas que cela ait changé.

Pour revenir à votre œuvre, comment créez-vous vos personnages ?

Étonnement, c’est un des points que j’ai le plus de mal à expliquer, car c’est quelque chose qui me vient naturellement. Probablement, parce j’ai consacré autant de temps au théâtre, je crois bien. Souvent mon personnage principal se forme juste avant que je commence l’écriture. Et parfois non. Quand je dois créer un personnage, j’ai une façon mécanique de le faire et une façon émotionnelle. La façon mécanique est d’avoir une feuille de tableur avec ce que j’appelle les axes de puissant. Le rôle, les capacités, l’âge, toutes les choses qui donnent de la puissance à une personne. J’essaie de m’assurer que chaque personnage a un aspect du côté dominant de cette structure et un au bas de l’échelle. Par exemple, Tesla dans The Spare Man (L’Homme superflu en francais). Elle est riche et extrêmement intelligente pour le côté dominant. Mais elle a également un syndrome de stress post-traumatique qui la handicape. Et elle souffre de douleurs chroniques. Ces deux traits la font redescendre en termes de puissance. C’est la façon mécanique d’étudier un personnage pour s’assurer que sa personnalité et son passé vont fournir des éléments intéressants pour l’histoire. Et pour la partie émotionnelle, j’essaie de trouver ce qui les énerve, les met en colère et comment ils réagissent dans ces conditions. Parce que l’histoire va être stressante pour eux. Donc, si je sais comment ils réagissent dans ce cas, cela m’aidera à construire l’histoire, car cela influera sur la façon dont ils réagissent aux événements. Parfois je fais un peu d’écriture libre ou je les imagine en train de faire tomber un œuf ou quelque chose dans le même genre, juste une petite mésaventure pour voir comment ils vont réagir.

Avez-vous l’intention d’écrire d’autres livres dans l’univers de Lady Astronaut ?

Je vais faire un recueil de nouvelles, inspiré par celui sorti chez Folio. C’est le seul de mes éditeurs à en avoir proposé un, donc je me suis dit que nous pourrions en réaliser un en anglais. Puis le quatrième livre, The Martian Contingency, sortira en mars 2025 en anglais (NDLR Et surement l’année suivante en français). Ensuite, qui sait ? Il y a tellement d’histoire à raconter. Tout est entre les mains des éditeurs.

Enfin, dernière question, que lisez-vous maintenant ?

Je lis trois livres en même temps. Un roman qui vient juste de sortir, O Little Time of Bethlehem d’Elizabeth Boyle. C’est de la portal fantasy où une femme de l’époque moderne arrive dans une ville qui n’existe qu’entre Thanksgiving et Noël. C’est doux et chaud, comme recevoir un câlin de la part d’un livre. C’est tellement charmant. Et je lis le livre de Lev Grossman sur le roi Arthur, The Bright Sword. Et finalement, et je ne sais pas pourquoi cela m’a pris autant de temps, j’audiolis Outlander de Diana Gavaldon. Oui je sais encore de la portal fantasy. Trop de livres et pas assez de temps.

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