Night Eaters – Elle dévore la nuit

Quand de passage dans une librairie, je vois un titre inconnu par les deux co-autrices de Monstress, Marjorie Liu et Sana Takeda, je ne peux que me pencher dessus. Ou plutôt vu le pavé qu’est Night Eaters — Elle dévore la nuit, le poser sur une table confortable et plonger dans la lecture.
Dans cette histoire, nous sommes dans un monde moderne. Billy et Milly, deux jumeaux sino-américains ont abandonné leurs études pour lancer leur propre restaurant, juste avant le début de la pandémie de Covid-19. Ils reçoivent l’aide de leurs parents, Ipo et Keon… Même si Ipo, toujours une cigarette à la bouche et réfractaire au port du masque, tient surtout à ce qu’ils inspectent le jardin de la maison abandonnée près de chez eux. Et qu’ils en découvrent les secrets sanglants, ainsi que leur héritage violent.
Si le trait de Saka Takeda est ici plus « brumeux », il n’en reste pas moins particulièrement séduisant et dérangeant. Et
les allers-retours entre le présent des jumeaux, et le passé racontant la rencontre de leurs parents dans le Hong Kong des années 1950, en sont d’autant plus limpides et intrigants.
En effet, si dès le début, la mère semble cacher quelque chose, l’histoire commence assez banalement comme une celle d’une famille ayant migré d’un pays à l’autre et devant s’y adapter, tandis que les enfants « de seconde génération » doivent au contraire faire l’effort de comprendre leurs parents et les traumatismes de leur vie passée qui les conduisent à ce comportement. Sauf que dans le cas d’Ipo et de Keon, ce ne sont pas des parents asiatiques suivant les stéréotypes classiques. Le fait que leur fille, Milly, ait abandonné ses études de médecine et que son frère passe ses nuits en dehors du restaurant à jouer en ligne leur est complètement égal par exemple. Il faut dire qu’ils sont plus préoccupés par ce qui hante la maison voisine, et ce qui risque de les forcer à avouer à leurs enfants la face cachée de leurs familles. Encore une fois avec Night Eaters, les deux autrices jouent avec les légendes asiatiques — ici du monde surnaturel chinois plus précisément, avec des démons et des dragons se cachant parmi les hommes — mais également avec des classiques de l’horreur (secte éveillant un être incontrôlable, tentacules à la Lovecraft, poupées hantées…) et parlent au passage de thèmes comme le féminisme, la parentalité, l’acculturation ou le racisme.
Et comme dans Monstress, la frontière entre monstruosité et normalité est plus poreuse qu’il n’y paraît au premier abord. En plongeant cette histoire dans un environnement moderne et non un monde de fantasy comme Monstress, les deux autrices y apportent juste le décalage qui va bien pour pousser la lectrice à tourner certaines pages en frémissant (d’anticipation ? de plaisir terrifié ?) et au contraire pour s’attarder sur d’autres à la recherche du moindre indice. Il est d’ailleurs conseillé de le lire dans un endroit bien éclairé, non par peur des monstres qui se tapissent dans l’ombre, mais bien pour profiter au maximum des dessins de Sana Takeda. Elle dévore la nuit n’est que le premier volet d’une trilogie déjà entièrement parue aux États-Unis. Et ses suites seront vite lues, peut être plus vite que leurs parutions en français. Si vous aimez les films d’horreur de James Wan (dont Malignant), ou si vous avez aimé Clean Room ou Saga en bande dessinée, penchez vous sur ce titre. 

Night Eaters – Elle dévore la nuit
Écrit par Marjorie Liu, dessiné par Sana Takeda
Traduction de
Renaud Cerqueux
Éditions Delcourt

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