Le pense-bête de Fritz Leiber aurait été écrit au XXIe siècle, cette nouvelle aurait été considérée comme technophobe et rétrograde. Mais le texte a été écrit en 1962, bien avant l’apparition des premiers smartphones, et bien avant celles des premiers téléphones personnels ou autres PDA (ou assistant personnel numérique pour les plus jeunes des visiteurs de ce blog qui ne les ont pas connus). Ce décalage n’en rend cette nouvelle d’horreur scientifique que plus savoureuse.
Certes elle est très datée, ne serait-ce que dans la répartition des rôles entre Gusterson et sa femme Daisy, ou encore dans son obsession pour les Soviétiques et la guerre atomique. Mais elle est également très moderne en montrant comment les mémoriseurs (transformés en pense-bêtes dans ce titre en français, en VO il s’agit de The Creature from Cleveland Depths) s’insinuent peu à peu dans la vie de leur porteur à la manière dont les smartphones s’insinuent peu à peu dans notre vie quotidienne. D’accord Le Pense-bête force le trait en imaginant des machines injectant directement médicaments et régulateur d’humain à leur possesseur au lieu de se contenter de surveiller et diffuser leurs données de santé afin de faire des préconisations.
Mais ne risquons-nous pas, si nous n’y prêtons pas attention, de devenir asservis par ces objets ?
En grossissant à outrance le trait, Fritz Leiber utilise l’ironie, une arme qu’il maîtrise à la perfection pour rappeler un message tout simple : la technologie doit servir l’humain et non l’asservir peu à peu au prétexte de l’aider. Finalement, l’auteur n’est pas tant technophobe que misanthrope et pessimiste concernant les capacités de ses semblables à prendre soin de leur liberté et de leur autonomie ? Que ce soit vis-à-vis des outils technologiques ou d’autres solutions de « prêt-à-penser » toutes faites, n’aurait-il pas raison ?
Le pense-bête
de Fritz Leiber
traduction de Bernadette Jouenne
Éditions Le Passager clandestin